Dans ce jugement, la Cour supérieure a résumé les obligations de l’assureur suite à une demande d’indemnisation faite par un assuré et les obligations des parties suite à une demande de pièces justificatives par l’assureur, la prescription extinctive qui s’applique et l’obligation de bonne foi.

( Extraits de la décision Aménagement Vert-plus de l’île inc. c. Scottish & York Insurance Co. Ltd. )

[50]            Dans l’arrêt Northumberland General Insurance Co. c. Genziuk[15], la Cour d’appel a clairement établi qu’un assuré détient le droit d’entreprendre des procédures 60 jours après avoir produit sa preuve de perte et que l’assureur ne peut y faire obstacle en exigeant que l’assuré exécute préalablement quelque autre obligation préjudicielle (au sens de l’article 168 du Code de procédure civile).

[51]            À ce sujet, le juge Bisson écrivait, dans Northumberland, que la tenue d’un interrogatoire statutaire constitue « une étape purement volontaire de la part de l’assuré (…) à moins d’une disposition claire dans la police l’exigeant » .

[52]            Dans la présent cas, la police d’assurance n’est pas produite et le Tribunal ignore tout de sa teneur.

[53]            La Cour d’appel décidait dans le même sens en 1999 dans Banque Toronto-Dominion c. Les Placements Gilles Jean inc.[16], mais en s’appuyant sur les dispositions expresses de la police d’assurance.

[54]            Dans Richer c. Promutual l’Outaouais[17], le juge Plouffe explique que l’article 2473 C.c.Q. protège l’assuré.

(sans quoi) l’assuré serait en quelque sorte à la merci de l’assureur, lequel pourrait prendre un temps indéfini pour lui payer l’indemnité (paragr. 21).

[55]            Ces précédents se prononcent dans des cas où il faut vérifier si l’assuré n’aurait pas pris action en justice prématurément au sens de l’article 2473 C.c.Q. Ces précédents n’avaient pas à trancher un litige où l’assuré avait attendu que l’assureur cesse d’exiger la production de renseignements et de pièces justificatives pour entamer le décompte de la prescription.

[56]            La juge Rayle (alors à la Cour supérieure) a statué dans l’affaire 112216 Canada inc. c. Montréal (Ville de)[18] que chaque litige est un cas d’espèce lorsqu’il s’agit d’identifier le jour où le droit d’action a pris naissance. Or, dans le dossier qui lui était soumis, la prescription aurait été interrompue en octobre 1997, alors que le sinistre datait de juillet 1992 et que la dernière intervention de l’assureur datait d’octobre 1992.

[57]            La juge Rayle a rappelé que l’article 2473 C.c.Q. entend protéger un assuré contre le comportement abusif d’un assureur qui « pourrait se contenter d’ignorer les réclamations de ses assurés » (à la page 4).

[58]            L’article 2473 C.c.Q. ne peut se lire tel que le plaide Scottish & York à l’effet que le droit d’action naît à la plus hâtive des deux éventualités, soit:

•                    soixante jours après réception de la déclaration de sinistre;

•                    à moins que, avant cette échéance, l’assureur ait demandé des renseignements pertinents et des pièces justificatives.

[59]            Tel raisonnement n’a pas de sens logique et contredit l’avis général de la doctrine et de la jurisprudence à l’effet que l’assureur bénéficie d’un moratoire de soixante jours, ou d’au moins soixante jours.

[60]            Il faut plutôt comprendre que l’assureur peut raisonnablement, même au-delà du délai de soixante jours, réclamer des renseignements pertinents et des pièces justificatives. Ce qui est raisonnable dépendra du cas d’espèce, par exemple si les circonstances du sinistre sont nébuleuses ou louches[19].

[61]            En l’espèce, Scottish & York ne s’est pas contentée des documents que sa mandataire, Diane Gamelin, avait colligés le 16 février 2006. Quarante-huit jours plus tard, l’assureur a exigé une preuve de perte. Cinquante-sept jours après avoir reçu cette preuve de perte, l’assureur a exigé un interrogatoire statutaire. Scottish & York a pris position cinquante-huit jours après la tenue de cet interrogatoire.

[62]            Scottish & York ne plaide pas que ses demandes étaient abusives et déraisonnables, ce qui détruirait les assises juridiques de son argument.

[63]            Face aux demandes raisonnables de l’assureur, l’assuré (que l’article 2473 C.c.Q. vise à protéger) était admis à considérer que son droit de poursuivre n’a pris naissance que soixante jours après l’interrogatoire du 3 octobre 2001.

[64]            Le contrat d’assurance est un contrat de bonne foi[20], plus encore que tout autre contrat régi par l’obligation de bonne foi énoncée à l’article 1375 C.c.Q. L’assureur doit être de bonne foi tout autant que le preneur[21].

[65]            L’application des standards élevés de bonne foi au stade crucial de la réclamation consécutive au sinistre, ne permet pas à l’assureur de plaider que le recours de l’assuré a commencé à se prescrire pendant que ce même assureur exige activement de son assuré qu’il lui fournisse des renseignements additionnels.

[66]            Le moyen de prescription extinctive est rejeté.

Aménagement Vert-plus de l’île inc. c. Scottish & York Insurance Co. Ltd., 2006 QCCS 5792 (CanLII),