Dans cette décision récente rendue en mars 2025 par le Tribunal administratif du logement, Me Hedi Belabidi a eu gain de cause pour son client, propriétaire d’immeubles à Montréal, poursuivi par son ancienne locataire pour reprise de logement de mauvaise foi.

Dans sa demande, la locataire allègue que la reprise de son logement a été obtenue de mauvaise foi par le locateur et, en conséquence, elle réclame à ce dernier la somme de 30 000 $ à titre de dommages punitifs selon l’article 1968 du Code civil du Québec, 10 000 $ pour les dommages matériels et 5 000 $ pour les dommages moraux.

Après avoir analysé l’ensemble de la preuve tant testimoniale que documentaire, le Tribunal a décidé que la reprise du logement n’état pas une reprise de logement de mauvaise foi compte tenu des explications jugées raisonnables et probantes justifiant la non-occupation du logement par le fils du locateur à la date prévue pour la reprise. 

Le Tribunal a jugé que la locataire n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, que le locateur a fait preuve de mauvaise foi en reprenant le logement concerné afin d’y loger son fils. 

Extraits de la décision :

(…)

[80] Le recours de la locataire, a pour accise, les articles 1968 et 1621 du Code civil du Québec qui édictent ce qui suit: « 1968. Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d’une reprise ou d’une éviction obtenue de mauvaise foi, qu’il ait consenti ou non à cette reprise ou éviction. Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou l’éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. » « 1621. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive. Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. » 

[81] Le Tribunal voudra aussi rappeler les règles applicables dans le cadre du fardeau de la preuve devant une instance civile. 

[82] L’article 2845 du Code civil du Québec prévoit que : « 2845. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal. » Quant au fardeau qui incombe aux parties, les articles 2803 et 2804 C.c.Q. régissent celui-ci en ces termes : « 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. » « 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. » 

[83] La partie qui allègue que l’autre partie a violé les règles de la bonne foi et qu’elle a agi de mauvaise foi a le fardeau de la preuve. 

[84] L’article 2805 C.c.Q. édicte le principe selon lequel la bonne foi se présume toujours. 

[85] S’il est vrai que l’on oppose bonne foi à mauvaise foi pour définir celle-ci, il vaut de faire état de certaines autres acceptions de la bonne foi, voulant qu’est de bonne foi, toute personne qui agit sans intention malicieuse ou encore celle voulant qu’une personne est de mauvaise foi lorsqu’elle agit en sachant qu’elle le fait de façon illégale ou illégitime.

[86] Les auteurs Baudoin et Jobin1 soulignent à propos de la bonne foi que : « La bonne foi est donc devenue l’éthique de comportement exigée en matière contractuelle (comme dans bien d’autres matières). Elle suppose un comportement loyal et honnête. On parle alors d’agir selon les exigences de la bonne foi. »

[87] L’auteure et professeure Brigitte Lefebvre qui a analysé le principe de la bonne foi depuis la réforme du Code civil rappelle les commentaires du ministre de la justice relativement à la portée de cette notion en ces termes : « …que « Le principe qui constitue l’une des pierres angulaires du nouveau Code, celui de la bonne foi doit, en tout temps, gouverner les parties dans leurs rapports d’obligations ». Que la bonne foi est une notion qui sert à relier les principes juridiques aux notions fondamentales de justice.2 

[88] Les articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec cristallisent ces principes lorsqu’ils édictent : « 6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi. » « 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi. »

« 1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction. » 

[89] C’est là dire que la bonne foi est érigée en principe général dans notre droit. 

[90] L’auteur et le professeur Pierre Gabriel Jobin dans son traité sur Le Louage écrit ce qui suit en regard à la notion de mauvaise foi en matière de reprise : « Pour notre part, nous pensons que le locateur doit être de bonne foi jusqu’à la date prévue pour la reprise. Le préavis et même l’audition de la demande et l’autorisation ne constituent que des étapes en vue de réaliser le projet du locateur. Jusqu’au jour prévu pour le départ du locataire, le bail demeure en vigueur. C’est dire que le principe du droit au maintien dans les lieux continus de s’appliquer jusqu’à la fin; il peut servir à interpréter les dispositions de Code civil applicables dans les derniers mois du bail, notamment celles qui nous concernent ici. De plus, le législateur, codifiant la jurisprudence dans d’autres secteurs du droit, proclame maintenant avec force que  » la bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction « . À cela s’ajoute l’importance toute particulière de l’exigence de la bonne foi en matière de reprise de logement, terrain propice aux manœuvres répréhensibles de certains locateurs. » 3 

[91] Le Tribunal de la Régie du logement a suivi ces principes dans l’affaire Mendez (Royal Victoria Hospital) c. Lepage dans laquelle le juge administratif Bernard écrivait : « La Régie du logement doit apprécier la bonne ou mauvaise foi des locateurs non seulement au moment de l’envoi de l’avis de reprise de possession mais aussi pendant toute la période de l’exécution du contrat et même après, si les faits subséquents permettent de colorer et de qualifier les raisons qui ont poussé les locateurs à récupérer leur logement. »4 

[92] C’est là dire qu’en l’espèce, la locataire doit démontrer, suivant la prépondérance de preuve, que bien qu’elle ait consenti à la reprise de son logement pour que la locatrice puisse s’y loger à compter du 1 er juillet 2015, cette reprise de son logement a été, malgré cela, obtenue de mauvaise foi par la locatrice. 

[93] Quant aux dommages punitifs qui peuvent être accordés au locataire advenant la preuve prépondérante que la reprise du logement constitue une reprise faite de mauvaise foi, le Tribunal voudra rappeler les quelques principes qui gouvernent pareils dommages. 

[94] Il vaut d’abord de souligner que les dommages punitifs assurent une fonction à la fois punitive et dissuasive.

[95] Soumis à des critères bien établis, ils visent donc à punir un comportement répréhensible ainsi qu’à dissuader l’auteur de toute récidive.

[96] Ils sont accordés pour sanctionner la violation des droits fondamentaux garantis par la Charte des droits de la personne5 , ou encore lorsqu’une disposition expresse d’une loi prévoit l’octroi de tels dommages. 

[97] En matière de droit du logement, des dommages punitifs sont, entre autres, prévus dans le cas d’une reprise de logement faite de mauvaise foi par le locateur selon l’article 1968 C.c.Q. précité. 

[98] Pour sa part, rappelons que l’article 1621 C.c.Q. fait état de la « fonction préventive » des dommages-intérêts punitifs. 

[99] L’auteure, Me Claude Dallaire, exprime ainsi l’enjeu de la question : « Si le quantum n’est pas le reflet de l’imputation véritable de paiement ni de la capacité financière de l’auteur de l’atteinte, la condamnation à des dommages exemplaires devient inutile et peut même avoir un effet pervers : constituer une invitation à violer à rabais les droits fondamentaux d’autrui. » 6 

[100] Dans l’arrêt Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand c. Québec (Curateur public), la Cour suprême du Canada a déterminé le cadre dans lequel des dommages punitifs (anciennement connus comme étant des dommages exemplaires) pouvaient être attribués.

[101] Ainsi peut-on lire: « Quant aux dommages exemplaires, l’atteinte doit être illicite et intentionnelle. L’atteinte doit être commise dans des circonstances qui indiquent une volonté déterminée de causer le dommage résultant de la violation. Il faut que la conduite de l’auteur soit voulue, consciente et délibérée. L’accent est mis sur les circonstances donnant lieu au dommage. Les dommages exemplaires ont un caractère strictement punitif. L’intention est de punir l’auteur et de dissuader ceux qui voudraient imiter son geste. » 7 

[102] Quant à l’évaluation des dommages punitifs, la Cour Suprême énonce comme suit la règle de la proportionnalité dans l’affaire Whiten : « J’ai indiqué, plus tôt, que la proportionnalité était la clé permettant d’établir le quantum permissible des dommages -intérêts punitifs. Le châtiment, la dénonciation et la dissuasion sont des justifications acceptées relativement à l’attribution de dommages -intérêts punitifs, et le moyen utilisé doit être rationnellement proportionné au but visé. Une somme excessive n’atteint pas le but visé et devient irrationnelle, alors qu’une somme insuffisante ne réalise pas son objectif. La règle de base qui est impérative est donc que les dommages -intérêts punitifs ne doivent pas excéder « ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive », mais doivent être suffisamment élevés pour atteindre cet objectif. « Doit être accordé ce qui est nécessaire pour dissuader. » 8 

[103] Notons par ailleurs que les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. applicables sur un montant alloué à titre de dommages punitifs ne peuvent être accordés qu’à compter du jugement. 9 

[104] Finalement, quant aux dommages-intérêts, eux aussi prévus à l’article 1968 C.c.Q, dont, entre autres, les dommages moraux, ils visent, dans leur cas, à compenser les troubles, ennuis, inconvénients tel que la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques. Il pourrait aussi s’agir de dommages matériels.

(…)