Extraits de la décision Larouche et Hovington :

Le Tribunal, dans le cadre d’une requête en vérification de testament, doit s’assurer que le testament est bien celui de l’auteur du document et qu’il est régulier dans sa forme.

Le Tribunal n’a pas à statuer sur les causes de nullité qui peuvent affecter celui-ci.

Dans le cadre d’une vérification testamentaire, monsieur le juge Lemelin résume ainsi le travail du juge[1] :

[11] La vérification d’un testament est une procédure qui a pour but d’identifier l’auteur du document qu’on présente pour vérification, de recevoir la preuve de son décès et de vérifier que le document est un testament valable quant à sa forme. Le juge saisi d’une demande de vérification d’un testament n’a pas à recevoir de preuve quant à la validité du testament puisque cette question ne relève pas de la vérification, dont le seul but est de faire en sorte que le document vérifié puisse être reconnu comme un testament valable, dont l’original est déposé aux archives de la Cour supérieure afin que des copies puissent en être délivrées à toute personne qui en fait la demande.        

L’article 726 du Code civil du Québec énonce ceci :

726. Le testament olographe doit être entièrement écrit par le testateur et signé par lui, autrement que par un moyen technique.

Il n’est assujetti à aucune autre forme.

Par ailleurs, l’article 714 C.c.Q. vient ajouter une souplesse quant à l’appréciation des conditions pour reconnaître un testament olographe ou devant témoins, en prévoyant ce qui suit :

714. Le testament olographe ou devant témoins qui ne satisfait pas pleinement aux conditions requises par sa forme vaut néanmoins s’il y satisfait pour l’essentiel et s’il contient de façon certaine et non équivoque les dernières volontés du défunt.

Dans le présent cas, le codicille est constitué de cinq pages.

Le Tribunal a entendu le témoignage de l’experte en écriture, madame Johanne Bergeron.

Celle-ci a procédé à l’analyse comparative de divers documents écrits par monsieur Larouche pour y repérer les similitudes et les différences.

Elle conclut à la « très forte probabilité » que les cinq pages qui constituent le document R-2, le codicille, émanent de la même personne, et que cette personne est le même auteur que celui des documents utilisés pour la comparaison, soit monsieur Pierre Larouche.

Par ailleurs, l’expertise de madame Bergeron et ses conclusions ne sont pas contredites, bien au contraire.

Le Tribunal a entendu le témoignage de madame Sonia Bouchard, qui reconnaît l’écriture de monsieur Larouche à la pièce R-2.

[43]        Cette dernière informe le Tribunal que monsieur Larouche était le parrain de son garçon. Elle a donc pu, au fil des ans, se familiariser avec l’écriture de monsieur Larouche, par le biais des cartes de fête, de Noël et de Pâques que ce dernier ne manquait pas de transmettre à son fils.

Elle identifie par ailleurs le document numéroté C-9 à l’expertise de madame Johanne Bergeron et, sur présentation de l’original de la carte de Noël, reconnaît la carte de monsieur Larouche qu’il adressait à l’occasion de Noël et qu’elle a remise à madame Bergeron pour l’analyse comparative d’écriture.

Le Tribunal a également entendu le témoignage de madame Lyne Hovington, épouse du de cujus.

À la fin de son contre-interrogatoire, madame Hovington avoue qu’elle ne peut affirmer que R-2 n’a pas été rédigé de la main de monsieur Larouche.

En somme, elle ne peut contester que le document R-2 est écrit de la main de monsieur Larouche.

Lors du contre-interrogatoire de madame Hovington, le Tribunal constate que celle-ci, par ses hésitations, tente d’éviter de répondre franchement aux questions.

Le contenu du document est clair et ne souffre d’aucune ambigüité.

Les cinq pages de R-2 sont entièrement écrites de la main de monsieur Larouche.

 Autant le rapport de l’experte en écriture que le témoignage de madame Sonia Bouchard ou encore l’aveu de madame Hovington lors du contre-interrogatoire le démontrent.

Le document R-2 remplit ainsi l’une des conditions de l’article 726 C.c.Q, soit être entièrement écrit par le testateur.

Quant à la seconde formalité, qu’en est-il ?

La procureure de madame Hovington soumet que les cinq pages retrouvées par l’agent Simard sont en fait deux documents.

Une lettre d’adieu, constituée des pages débutant par « Salut à tous », « la vie » et « femme », dont cette dernière est signée « Pierre », et deux autres pages débutant par « code dicil » et « sœurs » qui, elles, ne sont pas signées.

Il s’agit de cinq pages écrites de la main de monsieur Larouche sur du papier provenant du même bloc-notes.

On retrouve, selon l’ordre où les pages ont été retrouvées par l’agent Simard, à la troisième page, une signature avec le seul prénom de monsieur Larouche.

Il est clair, à la lecture des pages 4 et 5, qu’il s’agit des dernières volontés de monsieur Larouche.

Le contexte de la séparation des époux explique certainement que monsieur Larouche puisse vouloir modifier son testament.

Quant à la référence dans R-2 au « territoire », la situation de partenariat qui existe avec monsieur Yvon Lavoie, un membre de sa famille, et les deux fils de celui-ci, alors que ceux-ci sont engagés avec monsieur Larouche dans la construction d’un camp de chasse, explique bien le contexte de cette rédaction.

Toujours au stade de la vérification, la signature à la troisième page, par le prénom du défunt, est-elle suffisante pour remplir la seconde exigence de l’article 726 C.c.Q. ?

Il y a bien sûr l’assouplissement que procure l’article 714 C.c.Q. qui peut être utile.

Dans l’arrêt Gariépy (Succession de) c. Beauchemin[2], la Cour d’appel expose les situations où l’on peut faire appel à la règle de l’article 714 C.c.Q. pour satisfaire pleinement à toutes les conditions de forme qu’impose l’article 726 C.c.Q.

Le juge Hilton écrit ceci au sujet de l’article 714 C.c.Q.[3] :

Comment est-il possible de concilier les articles 713, 714 et 726 C.c.Q.? La signature du testament olographe est-elle une condition essentielle à la validité du testament olographe? Dans l’affirmative, dans quels cas l’article 714 C.c.Q. trouverait-il application?

Toujours dans Gariépy (Succession de) c. Beauchemin, la Cour d’appel s’exprime comme suit[4] :

 J’estime donc que, même en analysant le caractère essentiel d’une formalité selon l’approche subjective, il est difficile d’envisager un cas où l’on pourra pallier  l’absence totale de signature d’un testament olographe. Il est essentiel de faire la distinction entre un testament et un projet de testament, car le projet n’est pas un testament, puisqu’il y a absence d’intention de tester au moment de la rédaction.

 Cette interprétation ne prive pas pour autant l’article 714 C.c.Q. de toute utilité en matière de testament olographe. Plusieurs situations sont envisageables et ont déjà été traitées par les tribunaux.

Par exemple, les tribunaux ont, à plusieurs reprises, vérifié des testaments olographes non signés mais dont la signature du défunt apparaissait sur un document suffisamment lié au testament. Comme le soulignait le juge Robert, alors juge puîné, dans Moufrage-Renaud.

On peut donc considérer désormais que la place de la signature est indifférente; il suffit qu’il existe entre elle et le contenu du testament, un lien matériel et intellectuel assez étroit pour former un tout indivisible.

C’est la raison pour laquelle un testament non signé, mais qui se trouvait dans une enveloppe cachetée signée par le testateur, a été vérifié, puisqu’il existait un lien matériel et intellectuel entre la signature sur l’enveloppe et le testament se trouvant à l’intérieur.

Les tribunaux ont également vérifié des testaments alors que seul le prénom du testateur était signé sur le testament. On a aussi validé un testament qui comportait une signature inhabituelle, puisque la testatrice avait signé en lettres détachées, contrairement à ses habitudes. Par contre, l’apposition des seules initiales du testateur a été jugée insuffisante.

 Je suis d’avis que l’article 714 C.c.Q. permet de vérifier un testament qui contient des lacunes au niveau de la signature, le terme « signature » étant interprété libéralement par les tribunaux. Cet article n’est pas privé d’utilité, contrairement à l’analyse du premier juge. Par contre, j’estime que l’absence totale de signature est fatale et ne permet pas l’application de l’article 714 C.c.Q. À au moins trois reprises déjà, la Cour a affirmé que la signature par un testateur d’un testament olographe est indispensable et que son absence constitue un vice majeur dont l’article 714 C.c.Q. ne permet pas de corriger les conséquences.

À la lumière de cet arrêt de la Cour d’appel, et compte tenu de la rédaction du document R-2, le Tribunal est d’avis que la signature par le prénom du défunt, à la troisième page d’un document dont les cinq pages sont trouvées ensemble au même endroit, est suffisante pour remplir la seconde exigence de l’article 726 C.c.Q.

L’article 2827 du Code civil du Québec définit la signature comme suit :

2827. La signature consiste dans l’apposition qu’une personne fait à un acte de son nom ou d’une marque qui lui est personnelle et qu’elle utilise de façon courante, pour manifester son consentement.

Dans l’arrêt Lessard c. Lessard[5], la Cour d’appel, alors que le document testamentaire n’était pas signé à la fin par le testateur, écrit ceci :

Même si ce document ne porte pas de signature à la fin du texte, nous sommes d’avis que le défunt y a apposé sa signature en écrivant son nom au long au début du document.  […]

Dans les circonstances, nous estimons que le document, visé dans la présente affaire satisfait pour l’essentiel aux conditions de forme mentionnées à l’articles [sic] 726 du Code civil du Québec […].

Dans le présent cas, le prénom « Pierre » retrouvé au bas de la troisième page est une marque personnelle de monsieur Larouche, suffisante pour représenter la signature.

Par ailleurs, les circonstances entourant la découverte des cinq pages, ensemble, au même endroit et provenant d’un même bloc-notes, montrent un lien matériel et intellectuel suffisant pour remplir la seconde exigence de l’article 726 C.c.Q.

Larouche et Hovington, 2013 QCCS 2392 (CanLII)