( Requête en arrêt des procédures en vertu de la Charte Canadienne des droits et libertés )

Dans ce jugement, le juge a établi qu’il y a bien eu violation des droits constitutionnels de l’accusé par les policiers et il a par la suite fait une analyse détaillée pour vérifier si l’arrêt des procédures était le remède approprié.

[50]      Toutefois, les policiers violent les droits du requérant, garantis aux articles 7, 8 et 9 de la Charte, en procédant à son arrestation, à son domicile, sans mandat d’arrestation prévu à l’article 529 du Code criminel. Cet article est adopté suite à la décision de la Cour Suprême dans R. c. Feeney[7], où il est décidé qu’une arrestation sans mandat, dans une maison d’habitation, contrevient à la Charte. Bien que l’intervention des policiers au domicile du requérant soit légale, l’arrestation de ce dernier sans mandat ne l’est pas.

[51]      Le Tribunal doit donc examiner le remède approprié selon l’article 24(1) de la Charte. Dans R. c. Babos[8], la Cour suprême du Canada résume les principes applicables à l’arrêt des procédures :

[30] L’arrêt des procédures est la réparation la plus draconienne qu’une cour criminelle puisse accorder (R. c. Regan, 2002 CSC 12 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 297,par. 53). Il met un terme de façon définitive à la poursuite de l’accusé, ce qui a pour effet d’entraver la fonction de recherche de la vérité du procès et de priver le public de la possibilité de voir justice faite sur le fond. En outre, dans bien des cas, l’arrêt des procédures empêche les victimes alléguées d’actes criminels de se faire entendre.

[31] La Cour a néanmoins reconnu qu’il existe de rares cas — les « cas les plus manifestes » — dans lesquels un abus de procédure justifie l’arrêt des procédures (R. c. O’Connor, 1995 CanLII 51 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 411, par. 68). Ces cas entrent généralement dans deux catégories : (1) ceux où la conduite de l’État compromet l’équité du procès de l’accusé (la catégorie « principale »); (2) ceux où la conduite de l’État ne présente aucune menace pour l’équité du procès, mais risque de miner l’intégrité du processus judiciaire (la catégorie « résiduelle ») (O’Connor, par. 73). La conduite attaquée en l’espèce ne met pas en cause la catégorie principale. Elle fait plutôt nettement partie de la deuxième catégorie.

[32] Le test servant à déterminer si l’arrêt des procédures se justifie est le même pour les deux catégories et comporte trois exigences :

(1) Il doit y avoir une atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ou à l’intégrité du système de justice qui « sera révélé[e], perpétué[e] ou aggravé[e] par le déroulement du procès ou par son issue » (Regan, par. 54);

(2) Il ne doit y avoir aucune autre réparation susceptible de corriger l’atteinte;

(3) S’il subsiste une incertitude quant à l’opportunité de l’arrêt des procédures à l’issue des deux premières étapes, le tribunal doit mettre en balance les intérêts militant en faveur de cet arrêt, comme le fait de dénoncer la conduite répréhensible et de préserver l’intégrité du système de justice, d’une part, et « l’intérêt que représente pour la société un jugement définitif statuant sur le fond », d’autre part (ibid., par. 57).

[33] Le test est le même pour les deux catégories parce que les problèmes touchant l’équité du procès et ceux touchant l’intégrité du système de justice sont souvent liés et se posent couramment dans la même affaire. Le recours à un seul test pour les deux catégories crée un cadre cohérent qui permet d’éviter une « dichotomie » inutile dans le droit (O’Connor, par. 71). Cela dit, bien que le cadre d’analyse soit le même pour les deux catégories, le test pourra s’appliquer — et s’appliquera souvent — différemment, selon qu’on invoque la catégorie « principale » ou la catégorie « résiduelle ».

[52]      Le Tribunal est d’avis que l’équité du procès n’est pas atteinte par l’arrestation sans mandat du requérant à son domicile. D’ailleurs, le requérant ne soulève pas cette question et la preuve à charge contre lui concernant le chef de non-respect de ses conditions de remise en liberté existe indépendamment du défaut par les policiers de procéder à son arrestation avec un mandat d’arrestation. La situation est similaire en ce qui concerne le chef de harcèlement criminel.

[53]      Le requérant invoque la catégorie résiduelle, soit celle où la conduite de l’État risque de miner l’intégrité du processus judiciaire. L’exigence d’obtenir l’émission d’un mandat d’entrée pour procéder à une arrestation dans une maison d’habitation vise à protéger une attente de vie privée importante. Aucune circonstance, telle l’urgence de la situation ou une prise en chasse policière, n’est présente en l’espèce si bien que les policiers ne peuvent procéder à l’arrestation du requérant sans mandat. Il aurait été facile pour les policiers de, soit demander au requérant de les suivre à l’extérieur de l‘appartement pour qu’ils l’arrêtent ou, devant un refus, se retirer et surveiller l’endroit le temps d’obtenir un mandat d’arrestation pour procéder à son arrestation à son domicile.

[54]      Même si l’expectative de vie privée du requérant est très élevée lorsqu’il est chez lui, le Tribunal est d’avis que la présente affaire ne représente pas un des cas les « plus manifestes » et qu’il faille appliquer le remède drastique qu’est l’arrêt des procédures. Dans un premier temps, la preuve à charge dans les deux dossiers existe indépendamment de l’arrestation du requérant le 10 novembre 2016.

[55]      Deuxièmement, les policiers étaient légalement autorisés à se rendre au domicile du requérant pour le localiser et l’arrêter. De plus, l’entrée dans l’appartement du requérant suivie de la fouille, sont faites avec le consentement du requérant, le témoignage du policier Croteau étant retenu par le Tribunal. Troisièmement, les allégations d’usage d’une force excessive par les policiers lors de l’arrestation du requérant sont rejetées par le Tribunal.

[56]      Par conséquent, bien que le Tribunal soit en accord avec les principes qui y sont énoncés, la preuve retenue par celui-ci, dans le présent dossier, diffère grandement de celle faite dans les affaires Tran[9] et Bellusci[10], où des abus physiques très graves furent commis à l’endroit des accusés.

[57]      Le Tribunal est d’avis que l’intégrité du système de justice n’est pas atteinte.

[58]      Si les policiers désiraient procéder à l’arrestation du requérant à son domicile, ils se devaient de le faire muni d’un mandat d’arrestation prévu à l’article 529 du Code criminel. La violation des droits du requérant est moyennement sérieuse, mais elle ne justifie pas l’arrêt des procédures compte tenu :

1-     De l’absence de préjudice physique subi par le requérant, contrairement aux cas dans les décisions Tran et Bellusci;

2-     De l’ensemble des circonstances, y compris le fait qu’aucune preuve n’ait été obtenue suite à l’arrestation du requérant;

3-     D’autres remèdes appropriés sont disponibles, comme une réduction de peine, advenant une déclaration de culpabilité.

Y.Z. c. R., 2019 QCCQ 333