Dans cette décision, la Cour supérieure a considéré, pour rendre sa décision, la jurisprudence en matière de saisie avant jugement et la nécessité de l’existence d’une crainte que la créance soit mise en péril et l’existence de manœuvres qui ont comme objectif ultime de soustraire la créance à un jugement à venir. Cette crainte du saisissant doit être sérieuse, objective, justifiée par des faits précis et non par des appréhensions.

( Extraits de la décision Lessard c. Gauthier )

[45]        Au sujet de cette disposition et des principes généraux régissant l’interprétation et l’application des dispositions législatives en matière de saisie avant jugement, la Cour d’appel écrit dans L.O.-M. c. É.L.[4] :

[26]      On considère ordinairement la saisie avant jugement comme une mesure d’exception. C’est la saisie-exécution, postérieure au jugement sur le fond, qui est la norme, en effet, et non la saisie avant jugement qui a pour conséquence d’immobiliser les biens du saisi de manière préventive et qui l’empêche d’en disposer librement. Vu le caractère exceptionnel de la mesure, on affirme donc généralement que les dispositions législatives régissant la saisie avant jugement doivent être interprétées de façon restrictive, afin d’éviter le gel indu des avoirs du débiteur.

[27]      Le principe de l’interprétation stricte doit toutefois être concilié avec l’intention d’un législateur qui a tout de même permis la saisie avant jugement en vue de protéger les droits et les intérêts de certaines personnes, en certaines circonstances. Car si la saisie avant jugement est une mesure d’exception, elle est aussi une mesure à caractère conservatoire, ce dont on doit bien sûr tenir compte dans l’interprétation des dispositions législatives pertinentes. On ne doit donc pas, au nom de l’exception, succomber à un rigorisme injustifié qui neutraliserait ou dénaturerait la vocation protectrice de la saisie avant jugement. Sans ignorer les exigences du législateur, il s’agit plutôt de donner plein effet à ses prescriptions par une interprétation qui concilie la prudence de l’exception aux nécessités de la sauvegarde.

[46]        Dans Griffis c. Grabowska[5], elle ajoute à ces principes auxquels elle souscrit les commentaires suivants au sujet d’allégations d’agissements malhonnêtes :

[13]      Dans Toledo Engine Rebuilders Inc. c. Lefort et une autre[2], le juge Kaufman écrit ne pas vouloir « close the door to the possibility of a seizure before judgement in cases where the defendant, by persistent conduct, has given rise to fear that he will put the debt in jeopardy» (p. 559); il ajoute que, dans un tel cas de figure, «the affidavit, to be adjudged « sufficient », must set out fully and clearly the reasons why the plaintiff fears for his debt» et que cela «cannot be done by a simple allegation that the debt a quo is the result of the defendant’s fraud» (p. 559).

[14]      La Cour revient sur la question dans Comco Roots Compressor Canada Inc. c. Aerzener Maschinenfabrik[3].   Le juge Vallerand résume, dans ses propres mots, le commentaire du juge Kaufman (à la page 6) :

Si donc il ne suffit pas que le recours lui-même soit fondé sur des agissements malhonnêtes du défendeur pour que le demandeur puisse saisir avant jugement, des reproches de malhonnêteté persistante – persistent conduct – peuvent venir étayer les soupçons que font naître des initiatives qui, quoique neutres en elles-mêmes, pourraient fort bien mettre les biens du défendeur à l’abri d’un jugement éventuel.

[15]      L’allégation du demandeur voulant qu’il ait été victime d’une fraude ne suffit donc pas, à elle seule, pour justifier la saisie avant jugement.   Le demandeur doit alléguer des faits précis – une allégation générale ne suffit pas! – le justifiant de craindre que sans cette mesure provisionnelle, le recouvrement de sa créance sera mis en péril.   S’agissant d’une conduite malhonnête persistante (ou caractérisée), le juge pourra cependant apprécier la portée de ces faits à la lumière de cette conduite.   C’est ainsi qu’un geste, un comportement ou une initiative, quoique neutre à première vue, pourra tout de même justifier le demandeur de craindre que sans la saisie avant jugement des biens du défendeur le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril.

[47]        De même, elle écrit dans Lynch Suder Logan c. Wilson Logan[6] :

[7]         La jurisprudence développée à l’égard de l’application de l’article 733 C.p.c. est formelle : la crainte donnant ouverture à la saisie doit être sérieuse, objective, justifiée par des faits précis et non par des appréhensions.

[8]         Dans le même ordre d’idées, la jurisprudence enseigne aussi que l’idée voulant que celui « qui a fraudé fraudera » est insuffisante pour fonder une crainte sérieuse et objective en l’absence d’autres faits précis qui permettent de croire que le débiteur posera un acte susceptible de faire échec au recouvrement de la créance.

[9]         Selon la jurisprudence, la crainte que la créance ne soit mise en péril exige comme condition essentielle l’existence de manœuvres qui ont comme objectif ultime de soustraire la créance à un jugement à venir.

[48]        Enfin, s’inspirant notamment de l’arrêt de la Cour d’appel dans Marciano (séquestre de)[7], l’honorable Benoît Moore, j.c.s. écrit dans Procureure générale du Québec c. Commandes Edge inc[8] :

[21]      Les tribunaux rappellent régulièrement le principe selon lequel celui qui requiert une saisie avant jugement sur la base de ses seules allégations doit faire preuve de la plus grande transparence afin d’informer pleinement le Tribunal.

[22]      C’est ainsi qu’on a pu annuler une saisie en raison du défaut du requérant d’informer le Tribunal qu’une demande antérieure avait fait l’objet d’un refus puisqu’il revenait au requérant d’exposer ce fait et d’expliquer au Tribunal en quoi la nouvelle demande se distinguait de la précédente. On a aussi pu obtenir l’annulation d’une saisie avant jugement lorsque des faits pouvant expliquer le comportement du débiteur saisi n’avaient pas été divulgués, bien que ceux-ci étaient à la connaissance du déclarant.

[83]        Comme le souligne la Cour d’appel dans Lambert (Gestion Peggy) c. Écolait ltée[11], en l’absence de manœuvres dolosives, de fraude ou d’autres gestes suggérant une intention de nuire à ses créanciers, même la vente par une entreprise de la totalité ou d’une partie de ses actifs n’est pas un motif permettant à lui seul de faire saisir ses biens avant jugement puisqu’il ne s’agit pas là de la crainte objective à laquelle réfère l’article 518 C.p.c. et puisque permettre une saisie avant jugement en présence d’appréhensions et d’hypothèses serait donner à une partie une garantie sur les biens d’une autre.

Lessard c. Gauthier, 2018 QCCS 926 (CanLII)