Dans ce jugement, le juge s’est demandé, pour rendre son jugement, si le policier avait les motifs raisonnables de croire que l’accusée avait les capacités affaiblies par une drogue lorsqu’il a procédé à son arrestation et si l’examen effectué par l’agent évaluateur en reconnaissance de drogues (AERD) a été réalisé dans les meilleurs délais.

( Extraits de la décision R. c. Nguyen )

[15]        L’article 495(1) du Code criminel pose le principe général qu’un policier peut arrêter une personne sans mandat lorsqu’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle a commis un acte criminel. L’article 254(3.1) du Code criminel exige quant à lui que la poursuivante démontre que le policier, avant de procéder à l’arrestation d’un prévenu, à des motifs raisonnables de croire que celui-ci est en train de commettre, ou à commis au cours des trois heures précédentes, une infraction prévue à l’article 253 du Code criminel[8]. Le Tribunal rappelle que la ligne de démarcation entre l’existence et l’inexistence de motifs raisonnables est souvent ténue[9].

[16]        Il est reconnu que les motifs raisonnables de croire comportent une dimension subjective et une dimension objective[10]; c’est-à-dire que le policier doit sincèrement et honnêtement croire à l’existence de motifs raisonnables qu’un suspect a commis l’infraction et que ces motifs sont objectivement justifiables[11].

[17]        De plus, un policier qui procède à une arrestation en vertu de l’article 253 du Code criminel n’a pas à être convaincu hors de tout doute raisonnable de l’état d’ébriété du conducteur ou qu’il est sous l’effet d’une drogue. Toutefois, ses motifs doivent être suffisants pour convaincre une personne raisonnable que le conducteur est susceptible d’avoir commis l’infraction (« more likely than not »). Le seuil à franchir, à l’étape de l’arrestation, est celui du poids des probabilités[12] et non celui d’une preuve prima facie[13]. Il ne s’agit pas d’un fardeau onéreux[14].

[18]        Pour apprécier le caractère raisonnable des motifs, le Tribunal doit se limiter aux faits connus du policier ou qu’il lui était possible de connaître[15]. En d’autres termes, le Tribunal doit se placer au moment de l’arrestation[16]. De plus, le Tribunal ne doit pas spéculer ou morceler la preuve pour analyser chaque symptôme isolément, mais plutôt considérer l’effet cumulatif de tous les éléments mis en preuve[17]. Par ailleurs, l’expérience du policier doit être prise en compte[18]. Finalement, l’obligation imposée aux policiers de prendre en compte l’ensemble des circonstances ne les contraint pas à pousser leur enquête pour trouver des facteurs disculpatoires ou pour écarter des explications possiblement innocentes[19]. En outre, l’exigence de motifs raisonnable de croire n’impose pas aux policiers d’avoir toujours raison[20].

(…)

3.            L’ÉVALUATION A-T-ELLE ÉTÉ FAITE DANS LES MEILLEURS DÉLAIS ?

(…)

[29]        Un policier qui acquiert les motifs raisonnables de croire qu’une personne à commis l’infraction prévue à l’alinéa 253(1)a) du Code criminel peut soumettre cette dernière à une évaluation effectuée par un AERD. Toutefois, le paragraphe 254(3.1) du Code criminel prescrit que cette évaluation doit être effectuée dans les meilleurs délais (« as soon as practicable »).

[30]        Depuis l’arrêt Vanderbruggen[25], il est établi qu’il ne s’agit pas d’une course contre la montre[26] et que cette expression ne signifie pas « dès que possible »[27], ni « le plus vite ou le plus tôt possible »[28]. Par ailleurs, la poursuivante n’est pas tenue de prouver minute par minute l’intervention policière[29]. Cette exigence, d’agir dans les meilleurs délais, n’impose pas aux forces policières d’avoir en tout temps un agent évaluateur de présent ou disponible pour chaque poste de police [30].

[31]        L’évaluation devant simplement être réalisée dans un temps approprié et sans retard inutile; la question ultime est de savoir si les policiers ont agi raisonnablement compte tenu des circonstances et des droits garantis par la Charte[31].

[32]        L’exigence que l’évaluation soit faite dans les meilleurs délais doit être appliquée avec raison et discernement. Ce n’est pas tant la longueur du délai qui importe, mais plutôt les motifs qui le justifient[32]. Il s’agit essentiellement d’une question de fait[33]. L’analyse du délai exige une approche flexible, ancrée dans le sens commun[34] et appliquée avec discernement[35]. Pour ce faire, le Tribunal doit considérer la totalité des circonstances[36] survenues à l’intérieur de la chaîne complète des évènements[37].

[33]        En outre, à moins que la preuve y donne ouverture, le Tribunal n’a pas à tenir compte de tous les scénarios alternatifs ou imaginables qui auraient pu réduire le délai[38]. Également, le Tribunal peut tenir compte de l’expérience de travail des policiers et de leur connaissance du milieu pour apprécier tant les démarches entreprises que celles qui n’ont pas été faites[39].

[34]        De plus, l’analyse du délai comprend la considération de l’organisation du service de police[40], bien que la poursuivante n’est généralement pas obligée de présenter une preuve en lien avec les choix organisationnels des corps policiers ou le déploiement de leurs effectifs[41]. Toutefois, il ne s’agit pas d’une règle absolue[42]. Ainsi, lorsque la preuve indique qu’un délai déraisonnable est créé, notamment, par une politique policière[43] ou une organisation déraisonnable[44], la poursuivante doit fournir des explications.

(…)

[54]        Par ailleurs, comme l’indique la décision Zadrozny c. Reine :

[31]   L’inclusion de l’expression « dans les meilleurs délais » dans les dispositions indique clairement que le législateur voulait limiter la durée de la détention d’une personne dans ces circonstances et qu’elle soit limitée à ce qui est raisonnable, selon le contexte. [67]

[55]        En l’espèce, les tests exécutés par les AERD sont prévus au Code criminel depuis 2008. Or, huit ans plus tard, le déploiement des AERD mis en place par la Sûreté du Québec et le protocole que ses agents doivent respecter, ont prolongé inutilement la détention de l’accusée. Il s’agit d’un délai lié à une organisation des ressources déficientes. Selon le Tribunal, la Sûreté du Québec doit s’assurer que le déploiement de ses troupes et la mise en place de ses protocoles n’ont pas comme conséquence d’augmenter le temps de détention des prévenus. En l’instance, en l’absence de justification, le Tribunal ne peut que conclure que l’organisation des services mis en place avait peu d’égards pour le respect des droits garantis par la Charte.

R. c. Nguyen, 2018 QCCQ 6443 (CanLII)