Suite à un sinistre couvert par la police d’assurance et une demande d’indemnisation par l’assuré, l’assureur et l’expert en sinistre doivent agir avec la plus haute bonne foi pendant tout le processus sinon il risquent d’être condamnés à payer à l’assuré des dommages et intérêts y compris des dommages exemplaires et punitifs

Extraits de la décision : Cohen c. Lloyd’s Underwriters, 2019 QCCS 826

[159] Dans Whiten c. Pilot Insurance Co.[85] et dans Fidler c. Sun Life du Canada[86], la Cour suprême rappelle qu’un contrat d’assurance a pour finalité la tranquillité d’esprit pour l’assuré et exige la plus haute bonne foi non seulement de l’assuré, mais de l’assureur aussi puisque dans le cas d’un sinistre, l’assuré est à la merci de l’assureur. Il est dans une position de très grande vulnérabilité. Cette plus haute bonne foi doit exister tout au long du processus d’enquête et décisionnel.

[160] La Cour suprême reconnaît également qu’en raison de cette nature particulière du contrat d’assurance, l’assuré est en droit d’obtenir des dommages-intérêts, y compris des dommages punitifs lorsque l’assureur ne respecte pas ses engagements contractuels. Dans ces circonstances, « les dommages-intérêts compensatoires visent à rétablir la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée s’il n’y avait pas eu violation du contrat.»[87]

[161] La Cour d’appel réitère ces principes dans Barrette c. Union canadienne (L’), compagnie d’assurances[88] :

[69] Le contrat d’assurance en est un qui oblige les parties à agir avec la plus haute bonne foi, un standard encore plus élevé que celui bien connu de la bonne foi qui est codifié aux articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. Cette obligation s’applique autant à l’assureur qu’à l’assuré, de la souscription du contrat d’assurance jusqu’au traitement des réclamations.

[162] Dans Bédard Martin c. Intact, compagnie d’assurances inc.[89], la Cour d’appel explique que l’assureur qui exerce ces droits de manière fautive doit réparer le préjudice qu’il cause par sa conduite :

[45] Dans leur action, les appelants allèguent que la conduite infamante d’Axa lors du procès devant le juge Gosselin, et depuis, leur a causé un préjudice tant de nature patrimoniale que de nature extrapatrimoniale. Les divers postes réclamés par les appelants – et sur lesquels je reviendrai – ne découlent pas d’une obligation de payer. Ils sont fondés sur la violation par Axa de son devoir de respecter les règles de conduite qui s’imposent à elle de manière à ne pas causer de préjudice à autrui. Un manquement à ce devoir entraîne, comme on le sait, la responsabilité de réparer le préjudice causé, qu’il soit corporel, moral ou matériel. Je précise que, en principe, un assureur a le droit de faire enquête au sujet d’une réclamation d’assurance et même de faire un procès à son assuré, sans que sa responsabilité extracontractuelle soit engagée. Mais s’il exerce ses droits de manière fautive, il devra réparer le préjudice causé par sa conduite. La doctrine et la jurisprudence reconnaissent ce principe.

(…)

[172] Quant aux dommages exemplaires, l’article 1621 C.c.Q. prévoit qu’il doit y avoir une disposition législative en prévoyant l’octroi pour que le Tribunal puisse en accorder :

  1. Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

[173] L’article 49 de la Charte prévoit l’attribution de dommages exemplaires lorsqu’une atteinte illicite à un droit protégé par celle-ci est prouvée.

[174] La Charte protège le droit à la dignité et à l’honneur d’une personne, de même que son droit à la vie privée et à la jouissance paisible de ses biens[109]

[175] Dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand[110], la Cour suprême a établi que pour avoir droit à des dommages exemplaires, le demandeur doit démontrer une atteinte illicite et intentionnelle à un droit protégé par la Charte :

  1. En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l’intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.

[176] La dignité et l’honneur de Mme Cohen, son droit à la jouissance paisible de ses biens et le respect de sa vie privée ont été atteints, que ce soit par exemple, par l’état dans lequel Lloyd’s laisse la résidence, son délai sans justification à confirmer la couverture ou encore le non-respect de la garantie de maintenir son niveau de vie. La preuve démontre également du sarcasme, de la condescendance et un manque d’empathie à l’égard de Mme Cohen, ce qui viole également son droit à la dignité. La dignité étant « le respect et la considération que toute personne se conduisant normalement mérite de la part d’autrui »[111].

[177] Les agissements de Lloyd’s et de M. Parmentier à l’égard de Mme Cohen et le traitement de son dossier démontrent une atteinte illicite et intentionnelle à ses droits protégés par la Charte.

[178] En effet, les exemples mentionnés au paragraphe 165 du présent jugement démontrent une atteinte illicite comme le définit la Cour suprême dans St-Ferdinand[112], soit un comportement qui « transgresse une norme de conduite raisonnable dans les circonstances selon le droit commun, ou, comme c’est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte elle-même ».

[179] Ces mêmes exemples démontrent tout autant le caractère intentionnel de l’atteinte illicite.

[180] En effet, le Tribunal estime qu’en agissant comme ils l’ont fait, tant Lloyd’s que M. Parmentier savaient que les conséquences immédiates et matérielles, ou à tout le moins extrêmement probables, de leur comportement[113] étaient de porter atteinte à la dignité et à l’honneur de Mme Cohen, à son droit à la jouissance de ces biens et à la protection de sa vie privée. À titre d’exemple, M. Parmentier a reconnu qu’il aurait dû procéder au nettoyage des ruines de la résidence et que d’entreposer les biens de Mme Cohen à St-Jean-sur-le-Richelieu et de faire nettoyer ses vêtements à Repentigny n’étaient pas des « idées du siècle ». De plus, Lloyd’s ne pouvant ignorer qu’en retardant la confirmation de la couverture, le remboursant le solde hypothécaire et en offrant un montant trop bas comme indemnité de reconstruction, elle empêcherait Mme Cohen de reconstruire et ainsi de jouir de son bien. Comme Lloyd’s n’est pas venue à l’audience expliquer son comportement, le Tribunal ne peut tirer une conclusion différente.

[181] La jurisprudence reconnaît l’octroi de dommages exemplaires à un assuré lorsque les circonstances s’y prêtent[114]. Le montant auquel l’assureur est condamné varie selon les faits propres à chaque dossier, mais ce montant doit être dissuasif et tenir compte non seulement de l’effet des violations sur la victime, mais également de la capacité financière de l’auteur des fautes.

[182] Le genre de comportement prouvé dans le présent dossier doit être sanctionné et le Tribunal condamne Lloyd’s à 10 000 $ de dommages exemplaires. Il condamne GDR à 5 000 $ de dommages exemplaires principalement en raison des commentaires de M. Parmentier tout au long du dossier dont certains exemples sont mentionnés précédemment. Ce genre de comportement d’un expert en sinistre à l’égard d’un assuré qui a perdu tous ses biens dans un sinistre est condamnable.