Pour déterminer si le magasin a pris les moyens appropriés pour assurer la sécurité du client qui a chuté dans le magasin et pour prévenir cet accident et déterminer si l’état du plancher du magasin est la seule cause de l’accident, le Tribunal analyse la conduite du magasin afin de déterminer si elle est conforme à celle d’une personne normalement prudente et diligente placée dans des circonstances identiques au moment où elle a omis de poser l’acte dont on lui tient rigueur. Le Tribunal considère que même si l’on ne saurait imposer au magasin la perfection car nul ne peut prévoir toutes les éventualités susceptibles de se produire, il doit analyser le comportement du magasin de façon objective pour établir s’il a été celui d’une personne raisonnable, soucieuse du bien-être d’autrui qui prévoit ce qui est raisonnablement prévisible et ne tolère pas de situations dangereuses sur lesquelles elle exerce un contrôle.
Extraits de la décision : Pominville c. Costco Wholesale, 2020 QCCS 618
[10] Les faits suivants, analysés à la lumière des principes ci-haut énoncés, convainquent le Tribunal que Costco n’a pas pris les moyens appropriés pour assurer la sécurité de Pominville et prévenir l’accident qui était évitable[9].
[11] Le 5 septembre 2014, en fin de journée, a lieu un violent orage. La température est de 30 °C et le taux d’humidité élevé. La pluie cesse quelques instants avant l’arrivée de Pominville au magasin Costco.
[12] Son conjoint, M. Raymond Lemay (Lemay), stationne le véhicule près de la porte d’entrée et entre dans le magasin afin de régler son compte client. Pominville l’attend dans la voiture. Au bout d’un moment, elle décide d’entrer dans le magasin pour acheter des articles.
[13] Les clients du magasin accèdent au commerce en empruntant des portes coulissantes, mais également de grandes portes de garage ouvertes, situées à l’avant du magasin. Le plancher de l’entrée du magasin est en ciment. Une partie restreinte de celui-ci est à l’état brut et rugueux, c’est à cet endroit que des paniers sont disponibles pour les clients. La majorité de la superficie de l’entrée, aire de circulation des clients, est lisse et luisante[10].
[14] Pominville emprunte une des portes de garage et après avoir fait quelques pas sur le plancher de ciment lustré, elle chute et tombe sur le côté. Il n’y a aucun témoin direct de la scène. Rapidement, le personnel intervient afin de lui porter secours. Peu de temps après la chute, son conjoint la rejoint. Elle est sonnée et rapporte d’importantes douleurs à l’épaule et au cou. Elle reste étendue immobile jusqu’à l’arrivée des ambulanciers.
[15] Lemay s’agenouille près de Pominville et place sa main sous sa tête. Il affirme que sa conjointe a les cheveux mouillés et qu’une lisière d’eau d’une longueur de 12 pouces et d’une largeur de 3 mm est visible entre les jambes étendues de cette dernière. Lorsqu’il se relève, il remarque que son avant-bras, ses genoux et sa main sont mouillés. Il précise que le sol était humide.
[16] Les affirmations de Pominville concordent avec celles de son conjoint. Elle relate avoir les cheveux humides, le dos mouillé et remarque, lorsqu’elle soulève la tête pour regarder son corps, qu’il y a une trace d’eau près de ses jambes.
[17] Cette trace est décrite par les témoins comme ressemblante aux lisières d’eau laissées par le passage d’un squeegee ou d’une machine Zamboni. De fait, ce sont les deux types d’appareils que Costco admet utiliser pour entretenir l’entrée du magasin[11].
[18] Pominville regardait droit devant et n’était pas distraite par quelque événement que ce soit. Elle affirme qu’elle portait des sandales qui recouvraient ses orteils. Lemay, son conjoint, ne se souvient pas du type de souliers qu’elle portait lors de l’événement. Le préposé de Costco M. David Massicotte (Massicotte) a, à la fin de sa journée de travail, préparé un rapport de l’incident[12] dans lequel il est inscrit que Madame portait des « gougounes » en bon état.
[19] Les deux rapports d’incident, soit celui signé par Lemay et celui préparé par Massicotte, indiquent que Pominville a glissé sur le plancher du portique d’entrée[13].
[20] Le Tribunal note que le rapport d’incident préparé par Costco indique à la case « conditions météorologiques », temps sec. La preuve démontre plutôt que le temps était humide et qu’un orage important s’était terminé quelques instants plus tôt. Le formulaire du rapport comprend la question suivante : Quand a eu lieu la dernière inspection ou vérification du plancher avant l’accident? (donnez l’heure précise)[14]. Massicotte lorsqu’il remplit le formulaire n’a pas indiqué l’heure, mais la mention suivante : « plancher sec ».
[21] Il appert de la preuve que Costco a mis en place une procédure de ronde de vérification des lieux effectuée par ses employés, et ce, à chaque heure. Ceux-ci doivent compléter un registre sur lequel ils indiquent l’heure de la tournée de vérification. Ce document, qui aurait pu prouver l’heure du dernier entretien ainsi que les remarques particulières de l’employé, n’a pas été conservé par Costco. La procureure de la défenderesse indique que ces documents ne sont conservés que trois ans. Or, Costco savait qu’il y avait eu un accident durant la journée du 5 septembre 2014. L’assureur de Costco est entré, à maintes reprises, en communication avec Pominville avant l’expiration des trois ans et la procédure fut introduite en 2016. La destruction de ce document important est suspecte.
[22] À défaut d’une preuve directe attestant de l’entretien, Costco invite le Tribunal à présumer que les mesures standard, mises en place, ont été respectées. Or, les faits mis en preuve ne sont pas précis et concordants. Ils ne permettent pas au Tribunal d’inférer que l’entretien de l’entrée du magasin avait été correctement fait ce jour-là. Aucun employé ayant comme tâche principale ou accessoire, l’entretien du plancher, le jour du 5 septembre 2014, n’est venu témoigner. Massicotte, responsable de cette équipe le jour de l’accident, n’a pu confirmer que les procédures habituelles avaient été respectées.
[23] Le vendredi 5 septembre 2014, plus de 4 000 personnes ont fréquenté le magasin. Approximativement 400 d’entre elles l’ont fait entre 19h30 et 20h30, heure de l’événement[15].
[24] Costco soumet que différents membres de l’équipe assignée au poste d’entrée ou sortie doivent porter attention à l’état des lieux et peuvent communiquer avec un responsable s’ils estiment que le plancher doit être nettoyé. Il fut mis en preuve que ces personnes ont également d’autres tâches, dont notamment la vérification des cartes de membres, la vérification des paniers à la sortie, la vérification des preuves de paiement et répondre aux questions des membres, etc.
[25] Pominville et son conjoint ont témoigné avec aplomb et franchise. Ils affirment que le sol était humide et qu’une lisière d’eau se trouvait à l’endroit où la chute est survenue. Pominville a mentionné ces faits aux ambulanciers et aux préposés de l’urgence à l’hôpital, dès son arrivée[16]. Le Tribunal retient cette version des faits.
[26] Généralement, par prudence, Costco ferme les portes de garage de l’entrée lorsqu’il pleut afin d’éviter que l’eau n’entre dans le magasin. Le 5 septembre 2014, après l’orage, les portes étaient ouvertes. La pancarte indiquant l’état du plancher n’était pas en place et il ne fut pas mis en preuve que l’entretien adéquat avait été fait.
[27] Costco sait qu’un plancher mouillé peut-être glissant. Une petite Zamboni, des squeegee et des pancartes jaunes portant la mention « plancher glissant » sont placés près des entrées du magasin. Lorsque l’achalandage est important, les employés passent les squeegee et poussent l’eau à l’extérieur du magasin par les portes. Au moment de l’accident, aucune pancarte n’indiquait que le plancher était glissant. Il n’a pas été mis en preuve que le plancher avait été entretenu après l’orage. Dans l’hypothèse où les squeegee auraient été passées, force est de constater qu’une lisière d’eau a été laissée sur les lieux[17].
[28] La présence de cette eau est problématique particulièrement sur un plancher lustré et lisse. Massicotte explique la méthode d’entretien du ciment du magasin comme suit : une machine Zamboni passe sur la surface durant les heures de fermeture du magasin, celle-ci est équipée à l’avant de deux disques rotatifs munis de lames de diamant qui délogent les saletés. Par la suite, la même machine, repasse sur le plancher. Elle est cette fois équipée de deux disques à l’avant avec des « pad » ou coussins, afin de « refermer les pores du béton et polir la surface »[18].
[29] La présence d’eau sur une surface lissée et polie, sur laquelle circulent plusieurs clients et passent les roues de paniers provenant de l’extérieur, crée une situation dangereuse qu’une personne raisonnable, ne doit pas tolérer.
[30] Costco n’a pas pris les moyens appropriés pour prévenir l’accident. Massicotte affirme qu’il est important d’avoir des planchers propres et luisants. Il appartient à Costco de choisir ses méthodes d’entretien. Cependant, polir et lisser un plancher de ciment a eu pour effet de créer à certains endroits mouillés, une patinoire sur laquelle Pominville a chuté. Costco est tenue responsable du préjudice qu’elle a causé par négligence.
[31] Costco mentionne qu’aucun autre accident ne fut rapporté ce jour-là. Il est possible qu’une seule personne se soit blessée et ait porté plainte. Il est également possible que l’état des lieux fut modifié après l’accident.
[32] Lemay a pris des photos du plancher du magasin quelques mois après les événements[19] puis de nouveau en juillet 2017[20]. Celles-ci démontrent que Costco a modifié la texture du plancher de l’entrée du magasin depuis l’accident. Costco a émis des objections, qui furent prises sous réserve, concernant le témoignage de Lemay quant à la porosité et la texture du plancher ainsi qu’au dépôt des photos démontrant l’état des lieux postérieurement à l’accident. Le Tribunal accueille l’objection. « La question de la responsabilité respective des parties doit se décider en fonction des circonstances régnantes au moment de l’accident… »[21]. Une amélioration faite par Costco afin d’augmenter la sécurité des lieux postérieurement à l’accident ne peut être assimilée à un aveu tacite de responsabilité[22].
[33] Costco soumet que Pominville est, en partie, responsable de sa chute[23], car elle ne portait pas des chaussures adéquates. La preuve révèle qu’elle portait des sandales. Le type exact de chaussures ne fut pas mis en preuve. Même si la version de Costco était retenue, et que Pominville portait des « gougounes » dont la semelle était en bon état, le Tribunal ne considère pas qu’elle ait agi de façon imprudente ou négligente en portant ce type de chaussures.
[34] Le Tribunal conclut que l’état des planchers, à l’entrée du Costco, est la seule cause de l’accident, de sorte que la défenderesse est tenue de réparer le préjudice subi par Pominville.