Durant le procès devant le Tribunal des Droits de la Personne du Québec, Me Hedi Belabidi, avocat du défendeur, a effectué les représentations et la plaidoirie avec succès en faveur de son client devant l’honorable Juge et les assesseurs.

Le demandeur invoquait que le défendeur avait refusé de lui louer un logement en raison de son âge, de sa condition sociale et de son état civil, en contravention avec les articles 10 et 12 de la Charte et, de ce fait, porté atteinte à la reconnaissance et à l’exercice en pleine égalité de son droit au respect de sa dignité en contravention avec l’article 4 de la Charte.

Dans ce jugement de 24 pages, le tribunal a fait une analyse complète des faits en litige et du droit applicable pour arriver à la conclusion de rejeter la demande du demandeur.

Extraits de la décision :

[65] Les dispositions de la Charte pertinentes pour décider de la présente affaire sont les suivantes :

  1. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
  2. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur […] l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi […], la condition sociale […].

Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

  1. Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public.
  2. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[66] Pour que le Tribunal conclue dans une affaire donnée qu’il y a discrimination interdite au sens de l’article 10 de la Charte, la partie demanderesse doit établir qu’il y a eu discrimination « à première vue »[7] en démontrant trois éléments par une preuve prépondérante : 1) qu’elle a été victime d’une distinction, exclusion ou préférence, 2) fondée directement ou non sur un des motifs énumérés au premier alinéa de l’article 10, 3) qui a pour effet de compromettre ou détruire son droit à l’égalité dans la reconnaissance ou l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne[8].

[67] Lorsque cette preuve est faite, pour voir le recours institué contre elle rejeté, la partie défenderesse doit, aussi par preuve prépondérante, établir que sa conduite ou sa décision est permise par les exemptions prévues par la loi ou celles développées par la jurisprudence, de sorte qu’elle ne constitue pas de la discrimination interdite. Si elle échoue dans sa démonstration, le Tribunal conclura à l’existence d’une discrimination.

[68] L’article 12 de la Charte interdit de refuser pour un motif énuméré à l’article 10 de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public. Ainsi, un locateur contrevient à cette disposition lorsque, pour un motif discriminatoire, il refuse de louer un logement à un locataire potentiel.

[69] Un traitement préjudiciable n’a pas à être motivé uniquement par un des motifs interdits de discrimination prévus à l’article 10 pour qu’il y ait atteinte à un droit ou une liberté garantie par la Charte[9]. Il suffit qu’un des motifs énumérés à l’article 10 ait « contribué »[10] au traitement dont se plaint la victime pour qu’il y ait contravention à la Charte. Comme l’a exprimé la Cour suprême du Canada, il suffit que « la caractéristique protégée a[it] constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable »[11].

[70] Le droit à l’égalité n’existe pas dans l’absolu. Il n’est protégé que dans l’exercice des autres droits et libertés garantis par la Charte[12]. Ainsi, le droit à la non-discrimination doit nécessairement être rattaché à l’exercice ou la reconnaissance d’un autre droit ou d’une autre liberté de la personne[13].

[71] Le logement est un besoin fondamental[14]. La discrimination en matière de logement est sanctionnée par les articles 10 et 12 de la Charte, le Tribunal ayant rendu de nombreuses décisions sur le sujet[15].

[72] En plus des protections prévues à la Charte, le Code civil du Québec[16] interdit expressément à un locateur de refuser de consentir un bail à une personne pour le seul motif qu’elle a un ou des enfants :

  1. Le locateur ne peut refuser de consentir un bail à une personne […] pour le seul motif […] qu’elle a un ou plusieurs enfants, à moins que son refus ne soit justifié par les dimensions du logement ; […]. Il peut être attribué des dommages-intérêts punitifs en cas de violation de cette disposition.

[73] Récemment dans l’affaire Fornella[17], le Tribunal a déploré que malgré les dispositions claires de la Charte, « certains groupes ou individus se heurtent [encore] à des difficultés particulières lorsqu’il s’agit d’exercer leur droit à un logement du fait de qui ils sont, de la discrimination ou de la stigmatisation dont ils sont l’objet ou de la combinaison de ces facteurs ».

[74] L’article 10 peut aussi être combiné à l’article 4 de la Charte, qui protège le droit à la dignité de la personne.

[75] La dignité humaine est « la pierre angulaire »[18] de la Charte. Elle est une « valeur sous-jacente »[19] à l’ensemble des droits et libertés qui y sont consacrés. Selon la Cour d’appel du Québec, « la dignité est le respect auquel a droit la personne pour elle-même, en tant qu’être humain et sujet de droit »[20]. La notion de dignité est étroitement liée à celle d’égalité, de sorte que « discriminer une personne, c’est porter atteinte au respect qu’elle mérite comme être humain »[21].

[76] Avant de répondre aux questions que soulève la présente affaire, voyons comment chacun des critères de discrimination qu’invoque M. Parmentelot-Lemay doit être interprété.

L’état civil

[77] L’article 10 de la Charte interdit la discrimination reliée notamment à l’état civil. Refuser de louer un logement à une personne parce qu’elle entend y habiter avec ses enfants constitue de la discrimination fondée sur l’état civil[22], et le Tribunal a conclu à de nombreuses reprises que le fait de refuser de louer un logement à une personne parce qu’elle a des enfants en bas âge constitue de la discrimination fondée sur l’état civil[23]. En certaines circonstances, l’identité du conjoint ou de l’enfant est comprise dans la notion d’« état civil »[24].

[78] Un traitement fondé, non pas sur un motif interdit comme le lien de parenté, mais sur la perception qu’a l’auteur du traitement quant à l’existence du motif protégé, peut aussi constituer de la discrimination, la Cour suprême s’étant exprimée en ces termes sur le sujet :

39 Les objectifs de la Charte, soit le droit à l’égalité et la protection contre la discrimination, ne sauraient se réaliser à moins que l’on reconnaisse que les actes discriminatoires puissent être fondés […] sur les perceptions, les mythes et les stéréotypes […].[25]

L’âge

[79] Dans un article intitulé La discrimination fondée sur l’âge dans l’emploi et la Charte des droits et libertés de la personne[26], Me Michel Coutu écrit ceci sur le motif de l’âge énuméré à l’article 10 :

La définition de l’âge ne pose pas de difficultés particulières, à la différence d’autres motifs de discrimination, tels la condition sociale, le handicap ou les convictions politiques, notions plus complexes à circonscrire. Si l’on s’en remet au sens courant des mots, l’âge réfère soit au temps écoulé dans la vie d’une personne, soit à la période de vie allant approximativement de tel âge à tel autre. En ce sens, la discrimination fondée sur l’âge visera d’une part, le fait d’avoir un âge déterminé, d’autre part, le fait d’appartenir à un groupe d’âge (i.e. l’enfance, la vieillesse, etc.). Autrement dit, il n’est nul besoin qu’une pratique discriminatoire s’attache à un âge précis, chiffré ; il suffit qu’elle affecte un ou des groupes d’âge.

(Référence omise)

[80] Le droit à l’égalité sans discrimination fondée sur l’âge n’est donc pas un droit réservé à des individus appartenant à une tranche d’âge précise[27]. Tous les groupes d’âge sont visés par la garantie.

La condition sociale

[81] La condition sociale se définit comme étant :

[…] la situation qu’une personne occupe au sein d’une communauté, notamment de par ses origines, ses niveaux d’instruction, d’occupation et de revenu, et de par les perceptions et représentations qui, au sein de cette communauté, se rattachent à ces diverses données objectives.[28]

[82] Contrairement à d’autres motifs interdits de discrimination tels la race et la couleur, la condition sociale peut représenter un état temporaire[29].

[83] En matière de location de logement, l’interdiction de discriminer sur la base de la condition sociale en lien avec les faibles revenus d’un locataire potentiel impose au propriétaire une obligation de vérification[30]. Ainsi, bien qu’un propriétaire puisse refuser de louer à une personne dont les revenus sont insuffisants pour payer le loyer, ou exiger d’elle une caution[31], il doit, avant de prendre une telle décision, avoir fait des vérifications raisonnables qui lui permettent d’évaluer le risque que représente un locataire potentiel[32]. Le refus de louer ou l’exigence d’une caution ne sauraient être fondés sur des stéréotypes, des généralités ou de mauvaises expériences antérieures[33].

(

[84] La Charte est une loi fondamentale d’ordre public. Son statut de loi quasi constitutionnelle commande, conformément à l’article 41 de la Loi d’interprétation[34], une interprétation large et libérale afin de favoriser la réalisation des objets généraux qu’elle sous-tend et les buts spécifiques de ses dispositions particulières.[35]

(…)

[86] La Cour suprême dans Moore s’exprime ainsi quant à la motivation ayant opéré une différence de traitement préjudiciable :

[33] Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination[36].

(…)

[102] L’obligation de la victime de mitiger ses dommages est énoncée à l’article 1479 C.c.Q. qui prévoit que :

  1. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

[103] Il s’agit d’une obligation de moyens[38]. Bien qu’il incombe à la victime de chercher à minimiser les dommages causés, le défaut de satisfaire à cette obligation n’a pas comme résultat automatique le rejet pur et simple de sa réclamation[39], le Tribunal pouvant tenir compte des motifs invoqués par la victime pour justifier ses agissements[40].

Pour déterminer si le demandeur s’est acquitté de son obligation, le Tribunal doit évaluer si une personne raisonnable se retrouvant dans la même situation que lui aurait accepté l’offre de location du défendeur. Cette norme objective doit être évaluée à l’aide d’une analyse contextuelle.

(…)

[112] La Cour d’appel écrit dans Calego[42] à ce sujet :

[49] Il est vrai que dans une journée il s’en dit des bêtises et des insanités qui blessent une amie, un compagnon de travail, un subalterne, une voisine, etc. Dans tous ces cas, la dignité d’une personne est plus ou moins atteinte. Pour autant, il n’y a pas chaque fois une faute qui a pour effet « de détruire ou de compromettre » la sauvegarde du droit fondamental à la dignité protégé par la Charte et qui donne ouverture à une sanction exemplaire par l’octroi de dommages-intérêts punitifs.

[50] Il faut une atteinte d’une réelle gravité. Le seuil est élevé. Autrement, on banalise la Charte et on multiplie inconsidérément les poursuites en justice pour obtenir de gros sous et non pour sauvegarder les droits fondamentaux.

[113] Une indemnité doit compenser le préjudice direct, certain et réel que subit une personne en lien avec le comportement discriminatoire dont elle a été victime. Même s’il n’existe pas de base scientifique permettant d’évaluer avec précision le préjudice subi[43], le défendeur ne doit supporter que les dommages moraux directement causés par ses gestes[44].

Le tribunal a conclu que le demandeur n’a pas établi avoir subi un préjudice moral d’une « réelle gravité » du fait qu’un des facteurs que le défendeur a invoqués pour ne pas lui accorder le logement initialement avait trait au risque que représentait pour lui le fait qu’il soit membre d’une nouvelle famille reconstituée.

[115] Il n’a pas non plus droit au montant qu’il réclame à titre de dommages punitifs, parce que l’article 49 de la Charte précise que l’octroi de tels dommages est tributaire d’une atteinte illicite et intentionnelle, les critères reconnus par la jurisprudence pour conclure à une telle atteinte n’étant pas satisfaits ici.

Le tribunal a établi suite aux représentations de Me Hedi Belabidi, avocat du défendeur, que l’objectif du refus initial du défendeur était d’éviter les problèmes, ce qu’il a dit au demandeur à plusieurs reprises le 26 février 2018, alors qu’il n’a pas apprécié son attitude à son égard et celui de sa fille.

Les craintes que l’attitude du demandeur a suscitées chez le défendeur ont été déterminantes dans la décision initiale de ce dernier de ne pas lui louer le logement. Ceci est confirmé par le fait que malgré ses craintes, un simple appel de la Commission a suffi pour qu’il accepte de prendre le risque de louer au demandeur et sa conjointe.

Lien pour lire la décision complète : https://unik.caij.qc.ca/permalien/fr/qc/qctdp/doc/2021/2021qctdp40/2021qctdp40